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Paris “la Balade des clochers”. The book.

Book / Livre. Edition de la Martinière

AVANT-PROPOS 

Me voilà enfin, tel Quasimodo sur son perchoir, surplombant la ville, dirigeant un ballet de gargouilles grimaçantes qui dansent sous l’éclairage des bateaux-mouches. Devant moi, parfaitement encadrés entre les deux tours de Notre-Dame de Paris, comme dans un théâtre, la Seine et Paris s’off rent en spectacle. Douze apôtres cernent la flèche de la cathédrale et nous protègent. Tout autour, des statues sentinelles veillent sur la ville endormie. Ébloui par le décor et un peu étourdi par l’émotion, je me sens néanmoins épié. Dans mon dos, une statue, celle d’un apôtre, le seul qui tourne le dos à la ville, me regarde fixement dans la pénombre. Je m’approche : c’est Viollet-le-Duc qui, pour l’occasion, a pris les traits de saint Antoine ; il admire son œuvre, sa cathédrale, pour l’éternité. Cette nuit est l’aboutissement d’une étrange histoire, commencée à Venise avec Notre-Dame de Paris , fameux roman de Victor Hugo, comme fil conducteur. 

Je crois que c’est en regardant des gravures de Paris au Moyen Âge, dans mes livres d’écolier, que j’ai commencé à rêver de la capitale. Mes lectures d’enfance ,Eugène Sue, Léo Malet, Tardi, achevèrent de me con vaincre q u’un mystère entourait la ville. En grandissant, j’ai sillonné le monde en tous sens. Pays en guerre ou voyages extrêmes… j’avais besoin d’exaltation pour photographier. À chaque retour de reportage, je retrouvais ma ville avec bonheur, mais Paris manquait tout de même terriblement d’adrénaline et je peinais à y travailler. Puis j’ai côtoyé Robert Doisneau, Édouard Boubat, Willy Ronis à l’agence Rapho. À cette époque, je ne pouvais imaginer entreprendre un travail sur Paris, tant ces photographes avaient marqué la ville de leur empreinte indélébile. Je me plongeais pourtant avec délice dans les liv res de Doisneau, j’enviais son regard amusé sur la vie citadine. Son Paris, nostalgique et disparu à jamais, me fascinait. Doisneau aimait la ville et détestait voyager ; au contraire, je préférais parcourir le monde, le plus loin possible. 

C’est au cours d’un reportage, plus exactement une croisière en Méditerranée, que j’eus la « révélation ». Je relisais justement Notre-Dame de Paris . Alors que le paquebot quittait Venise par le grand canal, j’abandonnais quelques instants ma lecture pour admirer « la Sérénissime ». Du haut de ce mastodonte, nous étions à hauteur des clochers. Je n’a vais jamais vu la ville sous cet angle ; je distinguais jusqu’aux moindres reliefs. Venise éclatait de poésie : bien loin de la froide beauté de la vue d’avion, c’était une vision magique et intimiste. 

Je repris ma lecture ; au beau milieu de son intrigue, Victor Hugo, perché sur les tours de Notre-Dame, consacrait un chapitre entier à décrire Paris « à vol d’oiseau ». J’étais un peu surpris par la situation : voilà que l’écrivain décrivait le paysage qui, cent cinquante ans plus ta rd et quelque mille kilomètres plus loin, s’offrait à mon regard, précisément à cet instant : 

« C’était d’abord un éblouissement de toits, de cheminées de rues, de ponts, de place, de flèches, de clochers. Tout vous prenait aux yeux à la fois, la tour carrée et brodée de l’église, le grand, le petit le massif, l’aérien, le regard se perdait longtemps à toute profondeur dans ce labyrinthe, où il n’y avait rien qui n’eut son originalité, sa raison, son génie, sa beauté ». Images et texte se télescopaient : le livre était devenu vivant. 

De retour dans la capitale, piqué au vif par ma découverte, j’étais bien décidé à jouer les Quasimodo . À moi la tournée des clochers ! l’ascension des sommets de la ville par des voies secrètes ! Comme de nombreux Parisiens, j’aimais ma ville mais, habitué à viv re dans ces lieux imprégnés d’histoire, elle m’était devenue trop proche, trop quotidienne, pas assez exotique. Je n’y prêtais plus guère attention. Je de vais retrouver cette curiosité perdue. Me mettre en position instable. Observer ma ville autrement. Tout était en place depuis des siècles, il n’y avait rien d’autre à inventer, juste un regard à renouveler. 

Après mille démarches pour accéder à ces lieux habituellement interdits au public, j’entamai mon périple. Mes premières ascensions fu rent étonnantes. Pour atteindre les sommets, il faut gravir des escaliers minuscules et obscurs où règnent les pigeons ; puis, soudain, c’est la lumière éclatante, l’espace librement ouvert. Rien n’arrête le regard. Pas une voiture. Au milieu des creux et des bosses de la vieille cité, les monuments semblent tout p roches. Dans le lointain, on distingue les buttes et les collines. Du haut des campaniles, tout semble apparaître en relief ; la ville respire enfin, à l’inverse d’une vue d’avion qui aplatit l’espace et arase les perspectives. Redécouverte « à l’envers », du dessus et non plus du dessous, elle devient dé routante, mystérieuse, inconnue. Le soir, sous le ciel immense, les clochers surgissent de la nuit, comme des phares qui éclairent l’océan des rues. On plane à mi-chemin « entre Dieu et les hommes ». 

Certes depuis Victor Hugo, la religion a perdu sa place au cœur de la cité. La France est devenue un État laïc, et la majorité des monuments religieux de Paris appartiennent à la ville. Pourtant, dans sa volonté de domination, la société civile a voulu imiter le pouvoir religieux. Et il n’est guère de bâtiment important qui ne soit couronné d’un clocher ; l’Hôtel de ville et chacune des mairies offrent des perchoirs qui n’ont rien à envier aux églises. 

Le point de vue exceptionnel offert par ces campaniles permet de réaliser à quel point les églises ont façonné la ville, ses contours, son architecture, son histoire. Les clochers quadrillent encore la capitale. Ils dépassent des toits, comme des bateaux sur la me r. Le patrimoine l’Église est là, sous nos yeux, son histoire est gravée dans la pierre. Ainsi les Invalides, le Val-de-Grâce, anciennes églises militaires, sont toujours sous le contrôle du ministère des Armées, tandis que les hôpitaux de Paris gèrent l’héritage des confréries religieuses. Chaque hôpital abrite une chapelle, dont la plupart des malades d’aujourd’hui ne se soucient plus guère. 

Chaque nouvelle escalade fut l’occasion d’une découverte. Du sommet du Panthéon, je remarquai, un peu ahuri, un cloître qui m’était totalement inconnu : c’est le Lycée Henri-I V, flanqué de la tour Clovis. Un autre jour, sur le toit d’une église, je remarquai une maison perchée en plein cœur de Paris, nichée entre les arcs-boutants de l’abside ; son locataire prenait tranquillement le soleil sur la terrasse, juste devant sa porte, à vingt mètres au-dessus du bruit de la ville. En gravissant la tour Saint-Jacques, je reconnus enfin le cardo , l’ancienne voie nord sud de la Lutèce romaine. Ces chemins naturels sont de venus par la suite itinéraires religieux ; aujourd’hui, de l’église Saint-Laurent au nord, à la chapelle du V al- de-Grâce au sud, une dizaine d’églises bien alignées dessinent ainsi l’ancienne route de Compostelle. Un peu plus loin, la rue Saint-Denis conduisait les pénitents à la cathédrale des rois de France, au nord de Paris, en passant par Saint-Pierre-de-Montmartre. 

Je n’omis pas, dans le même temps, de poursuivre mes recherches sur l’en-haut… d’ici-bas. J’allais régulièrement au musée Carnavalet où, pour trouver l’inspiration, je me plongeais dans la contemplation de quelques tableaux qui montraient un Paris encore plus ancien. Au hasard d’une lecture, je découvrais que l’église de Bonne-Nouvelle était plantée sur un ancien tas d’ordures à l’endroit même où se trouvait sans doute la cour des miracles. Devant les gravures de Notre-Dame de Paris à moitié délabrée, je remerciais intérieurement Victor Hug o : en 1831, au moment où il écrit son roman, la flèche de la cathédrale avait disparu depuis longtemps et l’ensemble du bâtiment tombait en ruine. Pour sensibiliser ses contemporains et sauver la cathédrale, il rédige alors son liv re réquisitoire, incitant l’architecte Viollet-le-Duc à restaurer le célèbre édifice. Avec son liv re, les Parisiens prirent, pour un temps, conscience de l’importance de leur patrimoine. Même si cette mobilisation n’empêcha pas, quelques années plus ta rd, le baron Haussmann d’éventrer Paris et de raser sans vergogne le quartier médiéval au pied du sanctuaire ; des trente-deux églises de l’île de la Cité que l’on pouvait jadis apercevoir du haut de Notre-Dame, une seule, la Sainte- Chapelle, a survécu. 

Quelques semaines plus tard, je m’attaquai enfin aux clochers des quartiers périphériques. Je m’at- tendais là aussi à de nouveaux étonnements / à un nouvel étonnement. Ce fut au contraire une vraie déception : l’échelle de la ville s’y trouve traîtreuse- ment boule versée ; les toits, pompeusement appelés « locaux techniques » ne sont plus cou verts de tuiles ou de zinc, et les habitations s’élancent vers le ciel bien au-dessus des clochers. 

Cette déconvenue me ramena avec d’autant plus de force vers Paris. Plus que jamais, j’a vais envie de revenir au cœur de la cité pour retrouver son âme oubliée. De gravi r, une fois encore, les deux cent cinquante-huit marches de Not re-Dame. Pour le plaisir… 

M. S.

Michel Setboun

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