Iran / Afghanistan
Metro Teheran
C’est facile d’appeler les gens à la révolte confortablement installées dans son canapé en Californie ou en Floride en oubliant que les jeunes qui descendent dans les rues vont risquer leur peau. Hier j’ai passé une heure à convaincre la fille d’un ami vivant en Iran à rester chez elle.
Les pays occidentaux jouent à chaque fois de nos émotions pour nous convaincre du bien fondé de leur politique. Il faut d’abord diaboliser l’ennemi. je crois que l’occident se fout royalement du sort des femmes dans la région, pour mémoire au temps où Taraki faisaient construire des centaines d’écoles dans les campagnes afghanes en particulier pour les filles et les personnes âgées, le monde occidental avait décidé de soutenir les moudjahidines qui eux les détruisaient à l’explosif, je l’ai vu, j’y étais.
En Afghanistan après 20 ans d’occupation et 2200 milliards dépensé par le “clan du bien” le taux d’alphabétisation est passé de 63% à … 58%. Kaboul est une bulle spatio-temporelle, une vitrine. Dans les campagnes la vie et le sort des femmes n’a pas vraiment changé.
A l’inverse, en Iran, malgré les sanctions du “clan du bien” pratiquement 100% de la population est alphabétisée, les femmes sont majoritaires dans l’enseignement supérieur (63%). Un autre exemple paradoxal, en Iran, une femme sur quatre a recours a la chirurgie esthétique. Dans les grandes villes j’ai croisé des dizaines de “Kardashian” avec un simple voile au ras des oreilles.
Le but de ce texte n’est pas de faire une analyse politique de la situation ou de défendre le régime iranien. je crois que c’est aux Iraniens de régler leurs problèmes. L’ingérence occidentale a mené partout dans le monde à des catastrophes, en Afghanistan, en Libye etc. la liste serait longue. Je n’ai pas de proposition, mais je crois que les sanctions occidentales en Iran ne font qu’aggraver une situation déjà difficile et produisent des effets inverses à ceux escomptés. Il y a quelques années, l’iran avait ouvert ses portes aux européens, Total, Peugeot etc, avaient de très gros projets, mais l’Amérique a imposé encore une fois son diktat. Les entreprises françaises ont dû abandonner leurs investissements et quitter le pays, comment s’étonner si l’Iran aujourd’hui vend des drones à Poutine.
Il y a quelques années j’ai réalisé un “reportage interdit” dans le métro de Téhéran, j’avais encore une fois envie de raconter les subtilités d’un pays que l’on connaît mal. Voici donc un reportage pour lequel j’ai dû utiliser un pseudo non pas à cause des Iraniens mais des Américains. Car il est impossible d’obtenir un visa américain si vous avez voyagé en Iran ou en Syrie (Entre-temps j’ai vu les gens de l’ambassade de et le problème est réglé). Je suis aussi passé à France-inter pour parler de cette publication et la journaliste qui m’interrogeait n’a jamais voulu comprendre que ce n’était pas l’Iran qui m’interdisait l’entrée sur son territoire mais bien les Etats unis. Oui le monde est compliqué.
Metro Téhéran
j’aime me perdre dans le métro de la capitale persane, un monde à part et théâtre d’un jeu social tout en contrastes. Ces images volées dessinent en clair- obscur le portrait d’un pays qui cultive le paradoxe.
Emblème de la « ville souterraine », sous la surface et loin du vacarme des rues saturées de la capitale, le métro de Téhéran incarne à lui seul le paradoxe de la société iranienne, et sa double face permanente. Y descendre, c’est plonger au cœur de la mixité extraordinaire d’un pays qui ne cesse de me fasciner depuis près de quarante ans, quand tout jeune photographe, j’ai commencé à le sillonner pour couvrir la révolution. À l’époque, le chantier du métro, lancé au crépuscule de l’empire du shah, débutait à peine. Je me souviens encore d’un panneau surréaliste qui indiquait fièrement des travaux invisibles. Mais la chute de la monarchie, la guerre Iran-Irak et des problèmes de financement perturbèrent l’agenda prévu, avant que la cité, réputée pour ses embouteillages monstres, ne bascule dans les années 1990 dans un chaos indescriptible, le chantier titanesque paralysant alors le centre-ville. Aujourd’hui, j’adore descendre dans le métro, littéralement pris d’assaut aux heures d’affluence, et me fondre dans cette foule incroyablement compacte avec laquelle celle qui maugrée un jour de grève en France ne peut pas même tenter de rivaliser en matière de densité. Comment imaginer que le pays des mollahs s’arrange de cette extrême promiscuité physique, tabou suprême, quand corps et odeurs se mêlent dans une brutalité étrangement mâtinée de gentillesse, écho au “tarof”, la courtoisie persane ? Tout se passe comme si cette zone publique se transformait ici-bas en espace privé, traduisant un rapport au corps différent de celui que l’on connaît en Occident, et qu’illustre la tradition du hammam.
OBSERVER LE MONDE DES FEMMES
Les trois voitures de tête et de queue sont réservées aux femmes, représentées par un logo d’ailleurs assez graphique. Les amoureux, eux, montent dans les autres wagons. Mais les femmes seules s’y engouffrent aussi avec autorité aux heures de pointe. Les hommes n’ont qu’à bien se tenir. Pas question, en revanche, qu’eux s’aventurent dans les compartiments des femmes, prêtes à l’émeute en cas d’infraction d’un contrevenant. J’aime me caler près de la simple grille qui marque la séparation des territoires, lieu stratégique pour observer et photographier le monde des femmes. Combien de fois n’ai-je pas rêvé de revêtir un tchador pour me glisser dans ces voitures en clandestin ? C’est que ces wagons-là sont le théâtre d’un incessant balai de vendeuses ambulantes dont les talents oratoires déclenchent plaisanteries et rires d’une liberté qui contraste singulièrement avec les préceptes de l’islam rigoriste. Dans une atmosphère de souk, tout se vend et tout s’achète, des serviettes hygiéniques à l’essuie-tout en passant par les produits de beauté et la lingerie, les marchandes n’hésitant pas à présenter un soutien-gorge sur la poitrine d’une passagère en tchador pour vérifier la taille. Travailleuses pauvres venues pour la plupart des faubourgs de Téhéran, dans un pays où le taux de chômage chez les jeunes de 20 à 35 ans atteint les 30 %, elles ont été l’année passée assimilées à des « mendiantes » par la loi iranienne et interdites d’activité. Mais la mesure, très impopulaire, a fait long feu, et ce négoce se poursuit en toute convivialité, à la frontière des mondes intérieur et extérieur.
À Téhéran comme ailleurs, le métro brasse aussi les milieux, même si les nantis préfèrent se déplacer en voiture avec chauffeur. La ligne 1, surtout, traverse l’immense capitale des quartiers riches et résidentiels du nord, aux bidonvilles du sud, offrant une vision transversale de la société iranienne.
Une fracture que la révolution islamique, qui prétendait avec Bani Sadr (premier président de la république d’Iran élu en 1980) – on a tendance à l’oublier – à l’égalité sociale, n’est pas parvenue à effacer. Des disparités que reflètent les codes vestimentaires. Le tchador noir intégral est arboré par les femmes des classes populaires. Les plus aisées, très maquillées et au nez souvent refait, portent le foulard en laissant dépasser leurs cheveux, comme les mollahs réformateurs leur turban, placé en arrière. Toutes les stations ont leur spécificité. Au nord, le métro s’arrête au pied de la montagne Alborz et de ses très courues stations de ski. Au centre, le bazar marque la jonction avec les quartiers sud, la ligne s’achevant à la porte du désert. La ligne 2 dessert à l’ouest la place Azadi (Liberté) et sa tour emblématique et à l’est, la place Jaleh, le siège du parlement. Et le légendaire poète persan Ferdowsî, dont les Iraniens aiment tant réciter les vers épiques, a aussi sa station.
L’univers à part du métro − qui transporte chaque jour plus de 3 millions d’usagers sur sept lignes − reste en même temps un espace de propagande pour le régime. La révolution islamique y est ainsi vantée à grand renfort de photographies et d’affiches qui rappellent l’imagerie soviétique. Nombre de stations portent le nom des leaders historiques, à commencer par l’imam Khomeiny, ou des martyrs, omniprésents dans la culture iranienne, dont les bassidjis, les jeunes héros de la guerre Iran-Irak. Sur les murs, des fresques en céramique, cuivre ou autres matériaux, mettent en scène la mythologie du pays, exaltent l’histoire nationale ou déclinent des versets calligraphiés du Coran.
Il est bien sûr interdit de prendre des photos à Téhéran. Mais muni d’un smartphone et d’un petit boîtier, je passe pour un touriste, et les Iraniens, très accueillants, ne s’offensent pas d’être photographiés quand ils me surprennent. Une seule fois, un gardien de la révolution, un de ces fameux et redoutés Pasdarans qui patrouillent en civil, m’a interpellé. Je m’attendais au pire, il m’a laissé passer. Bizarrement il me serait aussi difficile de réaliser ces clichés dans le métro parisien, au nom du droit à l’image et de l’atteinte à la dignité humaine. Ici, l’interdit se décrète au nom de l’islam.
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